Macky Sall, président du SénégalA LA UNE AFRIQUE 

Sénégal: À peine il se retire de son pays, Macky Sall sera poursuivi.

Nous venons de recevoir cette plainte qui sera dépossédé à la CPI contre l’ancien président sénégalais Macky Sall et quelques responsables. Nous avons souhaité de vous laisser l’entièreté de la plainte.

Juan Branco

Docteur en droit

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Toque A0393

92 rue de rennes, Paris

01.45.44.15.23

preuves@jbranco.fr

Fait à Paris, le 22 juin 2023

Monsieur le Procureur de la Cour pénale internationale,

J’ai l’honneur de vous adresser la présente communication, en toute urgence, au titre de l’article 15 du Statut de Rome. Par la présente, nous portons à votre connaissance des éléments de preuve relatifs à la commission de crimes contre l’humanité au Sénégal, commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre une population civile. Nous vous prions d’ouvrir sans délais un examen préliminaire concernant la situation du Sénégal, premier pays à avoir déposé ses instruments de ratification du Statut de Rome, dans la perspective d’une saisine de la chambre préliminaire aux fins d’ouverture d’une enquête au titre des articles 13.c) et 15 du Statut de Rome.

M. Macky SALL, Président de l’État du Sénégal, son ministre de l’intérieur Antoine Felix DIOME et le haut-commandant à la gendarmerie, ont, avec l’aide de 109 autres personnes identifiées, ordonné, supervisé et fait exécuter, de façon organisée, planifiée, méthodique et massive, des violences à fins politiques contre des manifestants désarmés, des militants, des journalistes, des avocats, mais aussi de simples citoyens depuis le mois de mars 2021, faisant plusieurs milliers de victimes.

Ils ont ainsi ciblé en particulier les partisans du mouvement politique PASTEF et de la coalition d’opposition YEWWI ASKAN WI, en commettant les crimes de meurtre, emprisonnement et privations de liberté en violation des dispositions fondamentales du droit international, torture, persécution et disparition forcée (article 7.a, 7.e, 7.f, 7.h et 7.i du Statut de Rome).

Ces crimes ont été commis dans le but de se perpétuer au pouvoir à tout prix, et d’éviter par tous moyens une transition démocratique pourtant exigée par les dispositions constitutionnelles du pays, en particulier de son article 27, interdisant à tout Président de la République d’effectuer plus de deux mandats consécutifs.

Ces violences politiques ont été affichées et assumées, amenant notamment à la commission d’actes de barbarie particulièrement insupportables contre des mineurs, utilisés comme boucliers humains, l’exposition dans l’espace public d’actes de tortures contre des opposants politiques, l’assassinat, la mutilation et l’arrestation arbitraire de nombreux manifestants se sont inscrits dans un cadre plus général d’intimidation et d’élimination par tous moyens des opposants politiques au pouvoir en place, par le truchement notamment de procédures judiciaires instrumentales amenant à leur arrestation, leur exil ou leur inéligibilité ; de détournement de dispositions législatives aux fins d’obstruction de l’action de forces politiques, de médias d’opposition ; de persécution de membres de la société civile, d’avocats, de médecins ; et enfin d’entrave à l’exercice des droits fondamentaux des citoyens sénégalais.

Ces crimes ont eu pour vocation d’empêcher les populations sénégalaises, et en particulier les militants du PASTEF et de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, d’exprimer leur opposition à la volonté de M. SALL d’effectuer un troisième mandat, et de se voir représentés dans l’espace politique sénégalais. Ils ont été mis en œuvre de façon intentionnelle et ciblée.

Outre le meurtre et la blessure de manifestants, par le truchement de tirs à balle réelle contre des populations désarmées, l’attaque systématique et généralisée mise en œuvre par M. SALL, ses exécutants M. DIOME et M. SALL et leurs affidés contre une population civile qui cherchait à faire respecter sa souveraineté et se voir représentée démocratiquement a pris la forme de détentions arbitraires ayant touché plusieurs milliers de personnes, dont celle des principaux leaders d’opposition, d’actes de torture contre des manifestants et des opposants ; d’atteinte aux droits fondamentaux de nombre d’entre eux, susceptibles de constituer des actes de persécution, notamment par le truchement de procédures abusives, d’atteintes au droit de la défense et à un procès équitable, mais également des actes d’intimidation, des poursuites disciplinaires, des licenciements du fait de l’adhésion à des idées politiques de fonctionnaires, d’avocats, de médecins ; de disparitions forcée suspectées, notamment dans le cadre de gendarmes ayant participé à des enquêtes menaçant le pouvoir ; enfin d’actes de torture dans le cadre des dites arrestations et détentions, qu’elles soient judiciaires et extrajudiciaires.

Les crimes dont il est question ont connu une brusque accélération à partir du 3 mars 2021, date d’arrestation du principal opposant à M. SALL, M. Ousmane SONKO, et aux manifestations massives qui s’en sont suivies afin de le faire libérer. Ces crimes ont été commis dans un contexte de banalisation calculée de l’usage de la violence par des proches du pouvoir et d’instrumentalisation de l’appareil judiciaire. Elle s’est fondée sur une stratégie de nomination, promotions et sanctions de personnes affidées au sein des forces de police et de la magistrature afin de s’assurer de l’obéissance des forces de l’ordre et la mobilisation de l’appareil gouvernemental à cette fin ; la signature de contrats d’armement, l’organisation et le financement de nervis en dehors de tout cadre légal; la mobilisation, au titre du « maintien de l’ordre », d’armes létales et d’armes de guerre contre la population sénégalaise par les forces de sécurité et de défense, entraînant notamment de tirs à balle réelle contre des foules pacifiques ; enfin l’instrumentalisation de procédures judiciaires et le détournement systématiquement du cadre juridique applicable.

La répétition de ces actes criminels, leur ampleur et leur gravité, leur modus operandi commun, le ciblage des populations du fait de leurs idées et l’impunité organisée dont ils ont bénéficié permettent d’établir, au sens du Statut de Rome, l’existence d’une attaque systématique et généralisée contre une population civile, en l’occurrence les citoyens sénégalais cherchant à défendre leurs droits et leur représentation démocratique et participant à des organisations militantes pacifiques et des manifestations populaires d’opposition, en particulier les militants du PASTEF et de la coalition YEWWI ASKAN WI.

Aucun des événements détaillés n’a fait l’objet d’enquêtes sérieuses, a fortiori de poursuites ou de condamnations pénales depuis maintenant vingt-six mois, de sorte qu’une culture d’impunité, elle-même significative, s’est développée en un pays dont les autorités et la classe politique prenaient soin de se tenir écartés de toute forme de violence politique.

Ces actes se sont poursuivis malgré la réprobation nationale et internationale qu’ils ont enfantés, entraînant la publication de sévères communications d’Amnesty International, Human Rights Watch, ainsi que des du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, du Président de la Commission de l’Union Africaine et de nombreuses autres instances internationales de premier plan.

Ce document est le fruit d’un exercice inédit, ayant permis, en quasi-direct, de recueillir sur le terrain les éléments de preuve alors que les actes étaient commis, grâce à la mobilisation de milliers de citoyens ayant spontanément recueilli et transmis des éléments de preuve, à un moment de grande tension politique et de répression. Il s’est accompagné d’un long effort de recensement, vérification et analyse d’éléments de preuve portant sur les événements s’étant déroulés depuis le mois de mars 2021.

Nous avons été récipiendaires de plus de quatre mille cinq cent éléments de preuves concernant ces faits et ayant fait l’objet d’un traitement soigneux, dont sept cent dix, ayant trait aux faits les plus graves, ont été finalement retenus et servent de support à la présente communication. Le nombre de victimes de crimes réprimés par le statut de Rome, nécessairement infra-évaluée dans le climat d’intimidation et de terreur créé par le régime en place et la nécessité de mettre en œuvre une sélection rigoureuse, se compte en milliers.

Ce travail nous a amené à établir, de façon définitive, indépendante, à partir de sources primaires, le meurtre, à des fins politiques, de 50 personnes pendant la période concernée. Ce nombre concerne des personnes dont l’identité, les circonstances et causes de la mort ont pu être établies, sans doute possible, grâce au croisement de plusieurs sources primaires, fiables et vérifiables. Le croisement de nos données avec des sources secondaires d’organismes nationaux et internationaux suggère qu’il s’agit d’un chiffre sous-évalué. Par exemple, Amnesty International Sénégal a formellement identifié quatre meurtres supplémentaires pour la période de mai à juin, à partir d’éléments dont tout indique qu’ils sont fiables (Babacar Samba, Serigne Fallou Sene, Mor Nguer Ndieye et Pape Moustapha Gueye), ainsi qu’au moins quatre personnes non-identifiées à la morgue de Pikine, qui s’ajoutent à deux morts à l’hôpital de Camp Thiaroye et plusieurs morts incertaines, dans le contexte des manifestations, ce qui porterait le total prévisionnel de décès recensés du fait de l’action des forces de l’ordre et de sécurité à plus de soixante.

L’estimation totale du nombre de victimes, concernant l’ensemble des crimes du Statut mentionnés, se porte quant à elle en milliers et, du fait des ordres de grandeur, est impossible à établir de façon définitive avec la précision requise par la procédure pénale. Les estimations les plus conservatrices sont cependant particulièrement effrayantes.

A titre d’exemple, sur les seules manifestations du 1er et du 2 juin 2023, la Croix rouge Sénégalaise annonce avoir secouru 357 blessés, dont 78 graves. Du fait de pressions politiques, cet organe, protégé par les conventions internationales, doit renoncer à la publication d’un bilan global, comme cela est habituellement le cas. Le seul PASTEF, parti d’opposition démocratique, dénombre de son côté, en ce qui concerne ses seuls membres, 850 arrestations arbitraires de ses militants depuis le mois de mai, et des dizaines de cas de mauvais traitements et de torture avérés au sein des différents centres de détention répartis à travers le territoire.

Aujourd’hui encore, près de 650 de ses membres restent détenus. Les événements criminels recensés par nos équipes, étayés, prouvés, et répartis sur l’ensemble du territoire, se comptent par centaines. S’y ajoutent de très nombreuses preuves de blessures particulièrement atroces, dont des mutilations, qui, intervenues pendant les événements, n’ont cependant pas permis d’identifier les victimes avec certitude, ainsi qu’un certain nombre de décès postulés supplémentaires, non vérifiables avec un degré de certitude suffisante en l’état (vidéo 3, 4, 5, 13, 15, 16, 17, 25, 29, photos 32, 40). Nous devons en conséquence insister, non seulement sur la gravité de la situation, mais sur le caractère conservateur des estimations, liée à la nature extrêmement rigoureuse et resserrée la sélection des éléments de preuve opérée par nos équipes.

Nous reposant sur des dizaines de personnes déployées sur le terrain, dont nous voulons saluer le courage, ainsi que sur l’apport de juristes, avocats et chercheurs sénégalais, nous ne détaillerons pas les difficultés matérielles crées sciemment par le régime en place, se traduisant notamment en l’expulsion de l’un d’entre nous du territoire concerné ; des mesures d’intimidation contre les confrères impliqués dans la collecte de preuve ; ainsi que l’arrestation arbitraire et l’énonciation de menaces anonymes d’attentat à la vie de collaborateurs chargée du recueil de preuves sur le terrain.

Tous les éléments qui servent de support à ce présent document ont fait l’objet d’un contrôle et d’un croisement de sources strict de façon à confirmer leur véracité, le contexte de leur élaboration et éviter toute falsification, en s’appuyant notamment sur une interaction directe avec les témoins directs, victimes, sources originelles ou proches des victimes concernés.

Il apparaît donc qu’ils pourront, pour leur vaste majorité, servir de support aux procédures pénales que nous souhaitons voir enclenchées, fournissant une base documentaire offrant un panel d’éléments objectifs, de résultats d’autopsie à des vidéos de la commission de crimes en passant par des documents d’Etat, des contrats et des témoignages immédiatement mobilisables.

L’ensemble de ces éléments, classés, hiérarchisés et sourcés, sont de nature à vous offrir une base raisonnable pour présenter à la chambre préliminaire une demande d’autorisation d’ouverture d’enquête au titre de l’article 15.3 du Statut de Rome. Ils sont présentés en annexe.

Restant à votre disposition,

Juan Branco

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